Vierge un peu espagnole, au visage blafard
Aux yeux clairs éperdus, azur brûlant l'ivoire
Vous bercez, moitié triste et moitié terrifiée
La sainteté étrange d'un Jésus mort-né
Votre châle se perd en longs plis de satin
Pourpre moirée d'ébène aux froissements sanguins
Dans la pénombre humide des vieux oratoires
Le sifflement du vent pour unique offertoire
Notre-Dame des fous, Mère des sept douleurs
Grande Madone en pleurs
Ce soir, priez pour nous
Vous êtes l'ombre noire qui, au soir tombant
Quand le dernier soldat a regagné le camp
Bénit l'horrible moisson du champ de bataille
Apaise les mourants aux béantes entrailles
Et clôt les yeux des morts qui pourrissent déjà
Implacable compagne des brutaux trépas
Sereine, agenouillée dans la boue des carnages
Vous priez sous les ciels déjà chargés d'orages
Notre-Dame des peines Mère des sept souffrances
Pardonnez nos offenses
Et chez nous soyez Reine
Vous êtes la chandelle au chevet du vieillard
Qui crève lentement, imbécile et hagard
Dans un morne hôpital sinistre et solitaire
Et ne sait trop s'il doit appeler l'infirmière
Vous êtes la voix douce et feutrée qui murmure
À l'oreille du prisonnier que l'on torture
« Bientôt mon cher enfant prendra fin le supplice »
Et lui, dans un hoquet, hurle : « ora pro nobis ! »
Notre-Dame des gouffres Mère des agonies
Soyez l'astre qui luit
Dans l'œil de ceux qui souffrent
Reine des aliénés, reine des cauchemars
Des asiles déserts, des morgues, des mouroirs
Des réveils en sueur au milieu de la nuit
Des angoisses, des peurs et des neurasthénies
Des fantasmes malsains, des larves chimériques
Des blasphèmes criés en langage hystérique
Priez pour nous ! Priez pour nous ! Priez pour nous !